Chroniques

Des rêves à la mer (Chapitre 5)

Chapitre 5 : Mauvaises nouvelles

Combé, mariée à Séckou depuis vingt cinq ans, réussit à le faire rire. Ils dinèrent dans la bonne humeur, ou dans un semblant de bonne humeur. Hélène et Séckou se faisaient violence pour rire aux blagues de Fatou et Combé. Bijou, la benjamine a prétexté des maux de tête pour ne pas manger. Elle s’est couchée très tôt. Après le diner, tous partirent se coucher sauf Hélène qui regardait Bodyguard de Mick Jackson avec Kevin Costner et Whitney Houston. Avec Agnandine, elles adoraient regarder ce film tout comme Titanic de James Cameron avec Leonardo Di Caprio et Kate Winslet. Ce soir, comme tous les soirs quand elle regardait ce film, elle ne pouvait s’empêcher d’écraser une larme. Et ce soir, c’est pire que tous les autres soirs. Elle pleurait violemment devant le film. Elle ne savait pas pourquoi elle pleurait. Elle parvint à se calmer après trente minutes de sanglots et de larmes ininterrompues. Et c’est à minuit moins le quart que Bijou piqua une crise. On l’amena dans la case de santé où on lui fit une perfusion. Sa brusque maladie inquiétait Combé. Elle avait perdu son calme légendaire. Son sang n’a fit qu’un tour quand Bijou a crié dans sa crise : Gnandine. Un cri qui a été interprété de différentes manières. Fatou, la comique de service disait à qui voulait bien l’entendre que Bijou va regretter d’avoir crié lorsqu’elle a eu sa crise. Hélène et Séckou pensait que c’était la fin. Père et fille s’étaient juste échangés un regard, un regard qui disait c’est fini, elle est morte. Un regard qu’avait surpris Combé. Ce qui la rendit totalement hystérique. Personne ne parla. Ils veillèrent tous autour de Bijou, qui s’agitait et réclamait Gnandine tout le temps. Séckou repartit à la maison, suivit par Hélène. Ils rangèrent leurs affaires et partirent se coucher. Dès les premières lueurs de l’aube, Séckou prit sa douche et sortit pour aller vers sa voiture. Près de son pick up, il trouva Hélène avec ses bagages.

Séckou : tu vas où ?

Hélène : Je viens avec toi.

Séckou hésita, et puis il ouvrit la porte à Hélène. Les plus de deux cents kilomètres qui  séparaient Dakar de Sakal fut parcouru en silence. Ils arrivèrent vers 9h à Dakar. Séckou déposa Hélène à Sacré cœur et se rendit au bureau d’Amaye. Sans même le saluer, il lui lança.

Séckou : Le bateau le Joola. Il a coulé ?

Amaye : Nom de Dieu. Tu vas bien ? Ne parle surtout pas de malheur. Tu te rends compte de ce que tu es en train de dire ?

Séckou : Je m’en rends  compte. C’est horrible. Mais j’ai la sensation, la conviction, l’intime conviction qu’il est arrivé quelque chose au bateau.

Amaye : Que Dieu nous préserve de cette catastrophe. Je n’ai pas écouté les informations ce jour.

Séckou : Penses tu sérieusement que si le bateau avait coulé les radios allaient annoncer ça comme ça ?

Amaye : C’est vrai aussi. Mais….

Séckou : Tu as le numéro du portable ou du bureau de Diégane ?

Amaye : Diégane ?

Séckou : Diégane Sarr. Le sérère diola, enfin je ne sais même plus de quelle ethnie il est. Notre ami commun. J’ai oublié mon agenda à Sakal.

Amaye : Ah Diégane. Tu penses qu’il en saura plus que nous ?

Séckou : C’est une grande autorité. S’il n’en sait rien, il pourra toujours se renseigner auprès des autorités portuaires.

Amaye composa le numéro de Diégane qui décrocha à la première sonnerie. Il semblait irrité. Son « allô » était brutal. Séckou ne se laissa pas démonter.

Séckou : Mon frère, ça fait longtemps. C’est Séckou Diatta.

Diégane ricana : Aujourd’hui vous vous souvenez que je suis votre frère. Vous les diolas, vous êtes trop sauvages. Quoi de neuf ?

Séckou : Rien que la routine, le boulot. Tu sais comment ça se passe.

Diégane : Tchey ! Et les enfants ? Queenie m’a dit qu’Agnandine à eu sa maitrise. Félicite-la de ma part. Hélène elle est où ? Bientôt la rentrée, elle revient quand ?

Séckou : Hélène est rentrée avec moi ce matin. Elle est à sacré cœur chez Amaye.

Diégane : Ce salaud. Qu’est ce qu’il devient ?

Séckou : Il est là, il va bien.

Diégane : Passe-lui le bonjour de ma part. Et excuse moi dé, je parle, je parle alors que c’est toi qui m’a appelé. Tu as besoin de quelque chose ou bien ? Désolé aussi de t’avoir répondu brutalement, depuis ce matin, je reçois des coups de fils de quasi tous les diolas que je connais qui se comportent bizarrement. Ils appellent, veulent me parler de quelque chose et raccrochent ou se taisent.

Séckou : Moi je vais te dire. Diégane peux tu essayer de savoir où se trouve le bateau le Joola ?

Diégane : Il est en route pour Dakar. Il va probablement arriver vers midi, une heure.

Séckou : Non, non, non. Je ne crois pas à ça. Essaye de te renseigner. J’ai un mauvais pressentiment.

Diégane : Cheuteuteute. Ok. Tu as ton portable ?

Séckou : Oui.

Diégane : Je te rappelle. Au fait, tu connais qui dans le bateau ?

Séckou : Ma fille Agnandine !!!!

Diégane raccrocha aussi sec. Malgré la climatisation, il était en sueur tout d’un coup.  Pas Agnandine. Il avait l’habitude se moquer de la petite à cause de son nom horrible. Il aimait lui dire que son père était mal inspiré de l’appeler par ce nom horrible. Il était copain avec la fille de son ami. Et elle a pris le bateau là. Pourquoi ? Ils s’étaient tous dits qu’ils ne laisseraient pas leurs enfants prendre le bateau pour aller en Casamance. La traversée était trop longue pour eux. « Guédj amoul bankass » aimait il à répéter. (La mer n’a pas de branchages où s’accrocher). Diégane appela la marine. On lui fit savoir  que le bateau a fait naufrage au large de la Gambie. Les secours sont en route. Diégane raccrocha, dévasté. Comment dire ça à Séckou ? Comment lui annoncer que le bateau qui transporte sa fille ainée dont il est si fier a fait naufrage ? Comment le lui dire ? Quels mots utilisaient ? Pour quels résultats finalement ? Peut-il se permettre d’enjoliver les choses pour ne pas heurter son grand ami ? Il composa le numéro de portable de Séckou.

Séckou : Le bateau a coulé ?

Diégane, avec un grand soupir : Oui.

Séckou : Je le savais. Je ne reverrai plus….

Diégane : Ne parle pas de malheur. Le bateau a coulé au large de la Gambie. Les secours sont en route. Ta fille va revenir saine et sauve. Ne désespère pas.

Séckou : J’aimerai bien t’y voir. On travaille dans l’administration. On se plaint tout le temps de la lenteur des procédures. Les secours qui partent seront des médecins après la mort. A quelle heure le bateau a coulé ? Quand est ce qu’ils ont su qu’il y a un probléme ? Est ce que les gens ne vont pas mourir à force d’attendre dans l’eau ? La météo avait parlé hier d’une mer agitée à agitée sur le littoral gambien, qui va survivre dans ces conditions. Non, ma file est morte.

Diégane : Arrête de parler comme ça. Le bateau le Joola est géré par des militaires. Ils sont rigoureux eux. J’attends de voir le corps de Gnandine avant de dire qu’elle est morte.

Séckou : Si tu veux. Fais-toi des illusions, mais moi je n’y crois plus.

Il raccrocha et se prit la tête entre les mains.

Amaye : Diégane a raison. Ce n’est pas la peine que tu te mettes dans cet etat. Elle va s’en sortir. C’est une battante.

Séckou : Elle ne va pas s’en sortir. Elle va mourir. J’en suis et certain. Ma fille Gnandine ne m’a jamais dit non, ne m’a jamais rien refusé, et je lui ai catégoriquement demandé de ne pas prendre la bateau, elle a insisté. Tu te rends compte Amaye ? Gnandine qui discute mes ordres. Depuis, je me suis dit qu’il va lui arriver quelque chose.

Amaye : Séckou ? Tu divagues complètement !!!!

Il voulut répondre, mais son téléphone portable sonna. Le numéro du fixe de Sakal.

Combé : Le bateau. Le bateau le Joola a fait naufrage.

Des paroles entrecoupées de hoquets.

Séckou : Oui, Combé. Qui te l’a dit ?

Combé : On m’a téléphoné pour me le dire. Ma petite fille.

Séckou : Crois en Dieu. Prie pour qu’elle s’en sorte. Ne désespère pas. On est à Dakar. Dès qu’il y aura du neuf on va t’appeler.

Séckou : tu l’avais senti. Je n’ai rien vu venir.

Séckou : Calme toi. Va prier et veille sur les enfants. Je t’appellerai dès que j’aurai du nouveau.

Amaye lui lança : Applique-toi les mêmes conseils que ceux que tu as donnés à Combé.

Séckou : Oui, je n’ai pas le droit de me laisser aller.

Ils allumèrent la radio. Et tous les médias en parlaient. Walf FM, Sud FM faisait des brèves toutes les quinze minutes pour informer tous les auditeurs. Des auditeurs qui étaient de plus en plus abasourdis par l’ampleur du désastre. Le bateau le Joola était célèbre, très célèbre. Ce n’était pas seulement parce qu’il désenclavait la Casamance, mais il était célèbre parce qu’aucune rigueur n’y régnait. Les limites n’étaient pas respectées. Il était tout le temps surchargé. Agnandine s’en rendit compte très vite. Après avoir quitté le port de Ziguinchor, elle fit le tour du bateau. Elle se demandait comment les passagers de Karabane vont faire pour monter dans le bateau. Elle fut sidérée par les moyens rustiques utilisés. C’est par des pirogues qu’arrivaient les passagers avec leurs nombreux bagages. Agnandine se demandait comment les gens pouvaient être aussi négligents ? Il n’y avait plus de places et on faisait monter plus d’une centaine de personnes. Elle partit à la recherche de ses amis et trouva Abdou en train de rêver, sur le pont du bateau.

Agnandine : Abdou, le bateau il est toujours comme ça ?

Abdou : Je n’en sais rien, je ne l’ai jamais pris.

Agnandine : Pourquoi tu as voulu qu’on prenne le bateau ?

Abdou : Agnandine, je veux découvrir ma Casamance sous différents aspects. Mais j’ai l’impression que tout ça va mal finir. Je me dis que je suis en train de vivre mes dernières heures.

Agnandine : Abdou, ta gueule. Toi, est ce que tu vas bien ??? Ecoutes, personne ne va mourir. Et la prochaine fois que tu feras une suggestion, on ne va plus en tenir compte.

Abdou : Agnandine, je suis désolé. Je suis vraiment désolé. Pardonne moi. J’aurai dû te laisser prendre l’avion militaire.

En disant ça, Abdou pleurait. Agnandine lui serra la main.

Agnandine : Peu importe ce qui arrivera, rien n’est de ta faute. Ça devait juste arriver. Tu as tout fait pour nous dissuader de monter dans ce bateau, on ne t’a pas écouté. C’est à nos risques et périls. On est tous majeurs et vaccinés. On a décidé de notre plein gré de nous embarquer dans ce rafiot. Alors, no stress.

Ousmane débarqua sur ces entrefaites.

Ousmane : Abdou Nyassy, tu nous emmerdes. Tu fais stresser la petite pour rien. Et tu pleures ? Non mais tu fais chier à la fin.

Agnandine : Arrête, Ousmane. Arrête. Ne lui crie pas dessus. Il est assez secoué comme ça.

Abdou : Désolé Ousmane. Désolé pour tout. Je n’aurai pas du vous proposer ce voyage.

Tant bien que mal, ils essayèrent de faire rire Abdou qui était triste. Et puis d’un coup, il se leva et partit. Pendant cinq minutes, Agnandine et Ousmane se regardèrent ne sachant comment interpréter le départ précipité d’Abdou. Il revint avec trois gilets de sauvetage.

Ousmane : Toi, tu es fou.

Abdou : Non, on avait dit que durant toute la traversée on va porter nos gilets de sauvetage. Alors on le fait.

Agnandine : Oui, donne. Ousmane, ferme là et prend le gilet.

Abdou fit la bise à Gnandine et rit même.

Abdou : j’adore quand tu parles comme ça à Ousmane. Il t’aime à la folie mais n’ose pas te le dire.

Ousmane : Je te jure je vais te….

Agnandine : Mo, pourquoi tu te mets dans cet état ? Comme si c’était vrai !

A la vue de son expression, Agnandine resta bouche bée.

Agnandine : Tu m’aimes ? C’est quoi encore cette histoire ? Vivement que j’arrive à Dakar. Ce voyage sera long.

Elle repartit faire un tour. Le bateau avait quitté Carabane. Tout à leur discussion, ils ne s’en étaient pas rendu compte. Pendant qu’Agnandine errait comme une âme en peine dans le bateau, Ousmane était en train de crier sur Abdou.

Ousmane : C’est quoi ton problème ? Pourquoi tu lui as révélé les sentiments que j’avais pour elle ?

Abdou : ça te ronge, ça te mine. Il faut que ça sorte que tu saches sur quel pied danser.

Ousmane : Tu es un idiot de première. Tes pressentiments ???

Abdou : Toujours là, ancrés. Vous faites partie de mes plus belles rencontres. On a bien rempli nos vies. On a de la chance.

Ousmane : Quoi qu’il arrive, rien n’est de ta faute. On a choisi. On a tous fait le choix de prendre le bateau. Personne ne nous a obligés. Garde ça en tête. Ce n’est pas de ta faute mon gars. Et puis, s’il doit y avoir mort d’homme, j’espère que c’est toi qui va mourir. Parce que con comme tu es, si tu as la chance de t’en sortir, tu vas devenir fou.

Abdou : Je te jure.

Ousmane : Si je meurs, tu survis et tu te laisses aller, je ne te le pardonnerai jamais. Tu dois porter haut le flambeau. Nous faire vivre à travers les inédits, les exclusivités que tu as collectés durant nos vacances. Tu m’as entendu ? N’oublie pas hein. Sinon, je reviendrai de là où je suis pour te botter les fesses.

Abdou lui fit une accolade, qui dura longtemps.

Ousmane : C’est quoi ce sentimentalisme à la con ??? Non mais tu es grave quoi.

Agnandine les observait de loin. Ousmane m’aime ? Tchey Yallah. Qui l’eut cru ? Et pourtant j’y crois hein. Il m’a toujours obéi aux doigts et à l’œil. Mais non, il ne faut y penser se sermonna t’elle. J’ai dit oui à Abder. Mon prince charmant !!!!

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