« T’étais habillée comment ? » L’intitulé, sous forme interrogative, de l’exposition – qui s’ouvre ce 18 octobre au Musée de la Femme Henriette-Bathily – peut paraître banal ou relever du lieu commun, pour exprimer la curiosité de personnes préoccupées par l’apparence et accordant à celle-ci une grande importance. Mais comme pour toute activité humaine posant un débat de société – ici, le viol et ses mécanismes psychologiques perfides – il faut lire entre les lignes pour voir les subtilités auxquelles renvoie un message plus profond, plus puissant et plus mobilisateur.
En allant à la quête du sens de ce message, on peut compléter le titre de l’exposition : « T’étais habillée comment » ‘’au moment où il te violait ?’’ Le justificatif de l’accoutrement des victimes est souvent brandi pour cautionner, admettre et accepter des actes de viol aux conséquences psychologiques et sociales dramatiques. Le 9 mars 2018, au cours d’une émission très suivie, sur une chaîne de télévision qui l’est tout autant, un enseignant-chroniqueur a pu et osé dire que les femmes victimes de viols sont les premiers responsables de la situation parce qu’elles provoqueraient les hommes par leur façon de s’habiller. « Vous faîtes tout pour que nous vous violons, et quand nous vous violons, nous allons en prison et vous qui avez tout fait pour qu’on vous vous viole, vous continuez à être libres », avait-il dit, renvoyant dos-à-dos les victimes et leurs bourreaux.
La polémique que cette déclaration malheureuse a suscitée, même si elle a donné lieu à une plainte de la part d’hommes et de femmes soucieux de respect dû aux victimes, n’a pas eu l’écho proportionnel à la profondeur et à la gravité du sujet dans une société traversée par l’hypocrisie du tabou et du camouflage et les pesanteurs d’un patriarcat que des mots, expressions, adages gestes et pratiques courants entretiennent dans le subconscient collectif.
Toutes choses perpétuant le maintien de la jeune fille et de la femme dans un conditionnement subalterne et dégradant. Est-ce peut-être parce que la société a « entériné » et intériorisé ce que le chroniqueur a dit et défendu ce qu’une grande partie de ses segments pense tout bas ? Tout le laisse croire.
L’exposition que le Musée Henriette-Bathily va abriter vient de loin, parce que, montée en 2013, elle a déjà tourné, mais sa déclinaison, à Dakar, notamment à travers un panel qui va réunir des experts de la question, doit permettre de questionner bien plus que le port d’une femme victime de viol. Le sujet va donc au-delà de ce que peut laisser voir le titre « T’étais habillée comment ? » : la problématique de fond que pose cette exposition est celle de la liberté comme principe cher à tout être humain décliné ici en celles de choisir son apparence et de disposer de son corps. Bien sûr qu’on peut valablement brandir face à cette liberté individuelle les « normes » de la société dans laquelle on évolue, mais il est tout aussi vrai que les principes et les valeurs positives de la société ne valent que s’ils permettent une ouverture, un respect de la différence, de la liberté assumée.
Il s’agit, pour la femme – comme pour l’homme d’ailleurs, pour qui la question n’est presque jamais posée – de la liberté de disposer de son corps, de s’habiller comme elle l’entend – voilée, en jean, en pantalon moulant, en mini-jupe, en short ou en débardeur. C’est aussi, si l’on pousse plus loin la réflexion, une question de pouvoir, celui que se sont arrogé, sous le manteau de « valeurs socioculturelles » ou « religieuses », des hommes – avec, disons-le, l’approbation de femmes qui acceptent d’être confinées et réduites à une condition – pour dicter ce que doit porter la femme, comment elle devrait se comporter, où et quand elle peut prendre la parole, à quelle activité elle peut participer, quel métier elle peut exercer, et même lui faire injonction de se marier et de fonder un foyer. Ce sont là, des velléités qui remettent en cause les principes fondamentaux d’humanité et d’égalité.
« T’étais habillée comment ? » est le titre d’un projet inspiré du poème « Comment j’étais habillée », écrit par le Dr Mary Simmerling. Ainsi posée, la question pointe des faux-fuyants consistant à ne voir dans le corps de la femme qu’un objet destiné à réveiller les pulsions de l’homme, pris, lui, aux pièges d’un instinct animal. L’exposition et les différents panels auxquels elle donne lieu, devraient susciter et entretenir le débat. Pour continuer à libérer à la fois la parole et les mentalités sur des questions de fond porteuses de progrès pour tous.
== « Le viol, véritable fléau social », du 18 octobre au 20 décembre 2018, Musée de la femme Henriette-Bathily, Place du Souvenir, Dakar. Commissaire : Fatou Kiné Diouf
Aboubacar Demba Cissokho
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