Chroniques

Des rêves à la mer (chapitre 8)

Chapitre 8 : Dès- espoir

C’était le lundi après midi. Le lundi suivant le weekend du naufrage qu’ils ont tenu la conférence de presse, quelque part, dans l’enceinte de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ces proches de naufragés, ayant tous reçu des sms de leurs proches enfermés dans leur cabine ont axé leur communication sur l’urgence de renflouer le bâteau. Séckou était le porte parole. A peine a-t-il fini sa déclaration que les questions ont fusé. Certains journalistes avaient osé sous entendre que tous ces jeunes à la conférence de presse n’étaient habités que par le désir de faire le buzz. Comment était-il possible que les portables aient le réseau en Gambie ? Tant de questions auxquelles les jeunes voulurent mettre un terme en sortant les sms mais quelles ne furent leur surprise de voir leur boite de réception vides. Ils rirent jaunes. Ils étaient capables d’imaginer tous les scénarios possibles sauf celui là. Leur crédibilité en prit un sacré coup. Ils bégayèrent, balbutièrent avant d’essayer de se redonner une contenance. En vain. Certains journalistes s’éclipsèrent. Pour eux, ces jeunes casamançais étaient une bande de farceur. D’autres, des casamançais essayèrent d’en savoir plus. Séckou, la mort dans l’âme, fit une interview avec un journaliste. Il lui parla d’Agnandine, la jeune fille joviale qu’elle était, qui voulait juste aller à la découverte de la terre de ses ancêtres. Elle a voulu prendre le bateau toujours dans sa soif de découverte. Elle est vivante. Elle est toujours dans le bateau. Elle m’a envoyé un sms. Et on me fait passer pour un menteur. Le bateau n’a pas coulé. Il n’est pas au fond de l’océan, il flotte. Pas besoin d’être un physicien ou un grand scientifique pour savoir qu’il doit y avoir des poches d’air où des êtres humains sont susceptibles de survivre. Il parla, parla, parla, et eut droit à une pleine page dans la publication du lendemain. Ce qui ne changea absolument rien à la volonté affichée par les autorités de ne pas renflouer le bateau.

Les jours passaient, et de plus en plus, les secours amenaient des cadavres en piteux état, impossible à identifier. On décida de les enterrer dans des fosses individuelles dans des cimetières installés à Dakar, à Ziguinchor et en Gambie. Des volontaires s’attelèrent à cette tâche. Parmi eux, Diégane Sarr qui estimait qu’il était de son devoir de s’acquitter de cette tâche. Une tâche horrible. Les positions des différents cadavres indiquaient que les passagers du bateau le Joola sont morts dans d’atroces souffrances. A travers les positions des corps, on voyait ceux qui s’étaient battus avec l’énergie du désespoir contre cette mort qu’ils voyaient venir, ceux qui après avoir nagé des heures et des heures ont lâché prise, et il y avait ces femmes, ces mères de famille avec leurs enfants bien serrés dans leur bras. Même dans la mort, elles n’ont pu se résoudre à abandonner leur progéniture, la chair de leur chair. Tous ces cadavres, devenus d’illustres anonymes étaient enterrés à la va vite dans des fosses individuelles par des volontaires. Des volontaires qui s’étaient préparés au pire, mais l’horreur de la situation dépassait tout ce à quoi ils s’attendaient. Ils leur fallaient casser des bras, briser des membres, pour faire entrer les corps dans les fosses. Il fallait faire vite parce qu’il y en avait beaucoup. Il fallait faire vite pour pas que les corps décongèlent et pourrissent vite. Il fallait surtout faire le vide, oublier que c’est à des Hommes qu’ils avaient affaire. Des êtres humains que Dieu a créés et placés au dessus de tout organisme vivant sur terre. Ils auraient dû avoir droit à tous les rituels auxquels ont droit les défunts qu’ils soient chrétiens, musulmans, athés, d’ethnie diolas, socés, sérères, lébous, etc. Mais à la place, ils avaient droit à quelques versets vite fait, un ou deux paters noster.

Diégane Sarr n’en pouvait plus. A la maison, il ne riait plus, ne discutait plus avec sa famille. Il sortait juste aux heures de repas, et s’enfermait dans sa chambre avant de repartir faire le travail qu’il s’était volontairement assigné. Une semaine jour pour jour après le naufrage du bateau, il reçut un appel de Séckou lui parlant d’Agnandine. Séckou croyait dur comme fer qu’Agnandine était toujours vivante. Pour lui, on pouvait toujours renflouer le bateau et sauver tous ceux qui étaient à l’intérieur.

Diégane : Séckou, c’est bon. Il faut arrêter avec ça.

Séckou : Elle est vivante. Elle a envoyé un sms pour dire que tout allait bien. Un  sms qui a disparu lorsque les jeunes tenaient une conférence de presse. Il faut user de ta station pour remettre sur le tapis l’idée du renflouement du bateau.

Diégane : Séckou, il n’y pas de sms, il n’y a jamais eu de sms. Tout ça, c’est l’œuvre du malin. Arrête de te bercer d’illusions et dis-toi qu’Agnandine est morte. La seule chose qu’il faut faire maintenant  c’est de prier pour le repos de son âme. Ne perds pas ton temps.

Séckou : Diégane !!!

Diégane : Où est passé ta foi en Dieu ? Ta fille est morte. Elle est morte. Prie pour elle.

Et il lui raccrocha au nez. Un grand silence se fit dans le séjour. Maimouna, de stupeur avait la main sur la bouche. Queenie et ses frères regardaient leur père bizarrement.

Diégane : Quoi ? Elle est morte.

Maïmouna : Tu parlais de sa fille.

Diégane : Tu veux que je lui mente ? Aucun bateau ne sera renfloué. Qu’il prie pour elle. Je n’en peux plus.

Maimouna : Tu n’aurais pas du lui parler comme ça.

Diégane : Et comment j’aurai du lui parler ? Et puis, je vous emmerde tous.

Il abandonna là son repas et partit s’enfermer dans sa chambre.

Khogne : Papa, pourquoi il crie ? Queenie, qu’est ce qu’il a dit ?

Queenie : Rien. Mange, après je te dirai.

Khogne, en soufflant dans l’oreille de Queenie : Papa, dafa dof tps yi ? (Papa est devenu fou ces jours ci ?)

Sans le faire exprès, Queenie éclata de rire. Ses yeux s’embuèrent de larmes. Khogne le regarda et rit aussi.

Khogne, insouciant : Vous êtes tous devenus fous dans la maison.

Il ne croyait pas si bien dire. A Bellevue, la famille Sarr était sous le choc du drame du Joola. Mais pas autant que la famille Diatta qui venait de perdre l’ainée de la fratrie. Hélène et Seckou à Dakar, Combé avait du mal à faire face. Elle avait pris dix ans d’un coup. Elle s’occupait à peine de ses filles. Elle passait tout son temps la radio à ses côtés, écoutant les informations. Elle guettait à côté du fixe, attendant qu’on lui dise qu’Agnandine à échapper à cette catastrophe. Elle a survécu. Elle est saine et sauve. Mais, aucune de ses nouvelles. Juste qu’on cherche les survivants. Ensuite, il y a peu de chances qu’on trouve des survivants. Les Sms ont disparu comme par magie. Le bateau ne sera pas renfloué. On a arrêté les recherches. Prions pour qu’elle trouve le repos eternel. Il n’y a plus d’espoir.

C’est Seckou qui lui a dit cette phrase. Il a du se faire violence pour prononcer cette phrase au téléphone avant de raccrocher. Il n’avait pas la force de consoler sa femme. Il n’avait pas l’énergie pour chercher les mots qu’il faut en cette douloureuse circonstance. Il ne pouvait pas se permettre de faire comme Diégane qui lui a jeté cette vérité toute crue à la face. Il ne peut tout simplement pas. Il sait qu’en ce moment sa femme a besoin de lui, mais il ne peut lui être utile en cet instant. Lui Seckou, il n’a jamais imaginé qu’il ne reverrait plus jamais sa fille après son périple en Casamance. Quand elle lui a annoncé qu’elle avait eu sa maitrise, il la voyait réussir au concours d’entrée à l’Enam. Elle voulait devenir inspecteur des impôts et des domaines. Il s’imaginait la voir à la cérémonie de la sortie de promotion. Il s’imaginait la voir dans son bureau, dans la région où elle sera affectée au début de sa carrière. Il s’imaginait le jour de son mariage. Il s’imaginait tellement de choses sauf devoir lui survivre. Pour un père, il n’y a rien de pire que perdre un enfant. Et s’il pouvait avoir la consolation de la porter sous terre.  Mais elle est au fond de l’océan à l’instar de centaines d’autres qui n’ont eu que pour tort de vouloir aller dans une région de leur pays par bateau. Un bateau qu’il croyait être sur, en bon état. Tous ces passagers pensaient qu’ils étaient plus en sécurité dans le Joola que sur la route où ils pouvaient tomber sur des éléments supposés appartenir au Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC). Le fil de ses pensées fut interrompu par Hélène. Elle était le seul à avoir toute sa tête depuis le début de cette affaire. Elle avait espéré quand le cousin Séckou avait reçu le sms. Et puis en écoutant les informations, elle s’est convaincu qu’elle ne reverra plus jamais sa sœur. Elle s’est rappelé les propos de Queenie. Cette folle, adepte  de scénario catastrophe. En regardant des films comme Armageddon, Titanic, elle aimait toujours dire « si c’était au Sénégal, vaut mieux dire si vous croyez en Dieu, priez parce que vous allez mourir. » Elle ne croyait pas qu’en cas de catastrophe le dispositif adéquat pouvait être déployé. Et elle n’avait pas tort. Hélène était forcée de le reconnaitre.

Hélène : Papa, il faut qu’on reparte à Sakal. Bijou ne va pas mieux et maman aussi.

Seckou : Je viens de raccrocher avec elle.

Hélène : Fatou et la bonne m’ont appelé. On n’a rien à faire ici. On repart à Sakal.

Il  opina de la tête. Sans dire au revoir à son cousin Amaye, ils partirent à Sakal où ils trouvèrent une Combé dévastée par le chagrin. Elle veillait Bijou qui dormait. Dans son sommeil, elle appelait sa sœur.  Fatou sauta sur Hélène. Elle pleura longtemps dans ses bras avant de la bombarder de questions. Seckou donna des somnifères à sa femme qui dormit tout la nuit. Le lendemain, ce fut Bijou qui réveilla toute la famille. Elle n’avait pas piqué de crises, elle allait beaucoup mieux. Elle a réveillé Hélène pour lui demander son petit déjeuner. En attendant qu’elle finisse, elle a tout fait pour réveiller Fatou qui était une vraie marmotte. Quand elles commencèrent à prendre leur petit déjeuner, Hélène et Fatou furent surprises par le bavardage intempestif de Bijou. Elle parvint même à les faire rire. Elle, d’habitude si timorée, à peine guérie, était d’une loquacité sans commune mesure. C’est le son de sa voix, et les éclats de rire de ses sœurs qui réveillèrent leurs parents.

Après une nuit agitée, ces rires matinaux firent du bien au vieux couple. Pour Seckou, c’est le signe qu’il fallait se ressaisir.  Il fallait penser à leurs autres enfants. Et c’était comme si ils avaient pensé la même chose, sa femme et lui. Ils se levèrent et partir rejoindre leurs enfants dans le séjour. Dès que Bijou les vit, elle sourit avant de lancer :

Bijou : Agnandine dit que c’est bon. Elle va bien. Priez pour elle.

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70 comments

Berniece mars 13, 2019 at 3:45

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