Chroniques

Des rêves à la mer (Chapitre 4)

Chapitre 4 : Un embarquement mouvementé

Agnandine : Abder ? Tu vas bien ?

Abder : Gnandine, tu as eu ta maitrise maintenant. Quoi ? Tu veux faire ton doctorat ?

Agnandine : Mais attends au moins que j’ai un boulot ou au moins un stage. Je ne veux pas me marier et dépendre de toi.

Abder : Aussi indépendante que tu puisses être, tu seras sous ma responsabilité. Maintenant, j’en ai marre de me cacher. Je vais à Sakal trouver tes parents.

Agnandine : Non mais je ne t’ai pas dit que je suis d’accord.

Abder : Tu oses refuser ma demande ?

Agnandine : Non mais je ne suis pas prête. Abder, s’il te plait.

Abder : ça fait cinq ans j’attends. Cinq longues années. Tu sais que je t’aime, que je veux faire ma vie avec toi. J’ai accepté que tu ne me présentes à personne de ta famille. Tu sais que tout le monde chez moi te connais et t’apprécie. Sois ma dame. S’il te plait, dis juste oui.

Agnandine : Oui mais….

Abder : Pas de mais qui tienne. C’est mieux qu’on se marie maintenant. Comme ça, on va avoir notre lune de miel, et pourquoi pas notre premier enfant.

Agnandine : Tu vas vite en besogne toi. Ecoutes, à mon retour à Dakar on en parle.

Abder : Je vais venir te chercher au port. Je t’aime.

Agnandine raccrocha, heureuse. Elle était ravie qu’Abdel ait fait sa demande même si elle appréhendait de devoir gérer une maison. Ce n’était pas du tout évident. Elle sait faire la cuisine, tenir une maison, mais gérer la belle famille, les belles sœurs… Elle se disait que des problèmes en perspective. Elle décida d’en discuter avec Hélène dès qu’elles se verront. Pour le moment, elle avait son retour à préparer. Elle acheta plein de fruits et des fruits de mer,  de l’huile de palme et du jus de citron pour ses tantes à Dakar.

Le jeudi matin, Agnandine était excitée. Elle va voyager dans le Bateau le Joola. Elle va faire des jalouses. Depuis le temps qu’Hélène en rêve. Peut être que quand elle aura le bac l’année prochaine, elle pourra faire ce voyage. Toute la matinée, Agnandine discuta avec ses petites cousines et cousins qui l’accompagnèrent au port où elle retrouva ses camarades de promotion. Son oncle pria pour elle, et lui conseilla de faire la fatiha, likhlass,falakhi et nassi quand le bateau va quitter le port. Il la supplia de s’enfermer dans sa cabine à la tombée de la nuit. Ce qu’elle avait déjà promis à son père. Agnandine voulait se débarrasser très vite de son oncle. Elle l’écoutait distraitement, enfin l’oncle lui fit la bise et au même moment, une femme de ménage les bouscula. Elle était en larmes, et parlait un diola qu’Agnandine ne comprenait. Elle semblait totalement bouleversée.

Agnandine : Tonton qu’est ce qu’elle raconte ?

Tonton : Je n’ai pas bien compris. Bon voyage chérie. Et à bientôt.

Il regarda Agnandine partir vers le bateau. Dès qu’il était sur qu’il ne la verrait pas, il s’empressa de courir vers la femme.

Tonton : Alinom, wakhom ? (Ma sœur, qu’est ce qu’il y a)

La femme : Le bateau ne doit pas quitter le port aujourd’hui. Ils vont tous mourir.

Tonton : Pourquoi ?

La femme : Je ne sais pas. Mais je l’ai senti quand je faisais le ménage. Je leur ai dit, ils m’ont traité de folle furieuse et m’ont licenciée.

Tonton qui était très superstitieux partit à une grande vitesse à la recherche d’Agnandine qu’elle ne trouva nulle part. Elle avait réussi à faire entrer ses bagages dans le bateau. Elle n’était pas à l’aise. Elle ne savait pas pourquoi. Les délires du fou poète l’ont fortement ébranlé. Il l’a regardé droit dans les yeux, avant lui dire :

J’ai de la peine.

Une grande peine.

Dakar, si près et pourtant si loin.

Tu partiras et iras loin, très loin.

Dans un autre monde.

Et quel monde.

J’ai de la peine.

Une grande peine.

Tout comme tes parents,

Tes amis, ton amant.

Puissiez vous trouver la paix dans l’ailleurs.

Et il était parti. Comme ça, laissant Agnandine dans un trouble profond. Elle s’efforça de penser à des choses gaies, mais toutes ses pensées étaient occupées par le délire de ce fou. Elle pensa à Abder, à Hélène, à ses sœurs Fatou et Bijou qui sont à Sakal. Elle pensa à ses cousins Sékou, Goya, Waly, à ses cousines chez qui habitait Hélène, cette folle de Queenie, Zeyna, le petit Khogne qui était tellement timide, et Ben. Elle envoya un sms à Abder. « Oui. Je veux bien devenir la femme de ta vie. Je t’aime mon Abder. » Abder lui répondit « Hâte que tu sois là. JTM». Elle sourit en lisant le message. Abder. Il est tellement chou.

Le fil de ses pensées fut interrompu par l’arrivée des garçons.

Abdou : J’ai un mauvais pressentiment. Je ne sais pas c’est quoi, mais…..

Ousmane : Oiseau de malheur. Arrêtes avec tes histoires. Tu dégages des ondes négatives.

Cheikh Omar : C’est quoi ton pressentiment ?

Abdou : Est-ce que  le bateau est sur ?

Agnandine : Toi, vraiment, tu te moques de nous. N’est ce pas toi qui as fait la proposition ?

Abdou : Et je le regrette. J’ai fait un terrible cauchemar.

Cheikh Omar : Quel genre ?

Abdou : Je nageais dans l’océan. Je nageais tout seul. Il y avait plein de débris autour de moi. J’ai nagé. J’ai nagé. Je ne pouvais plus nager. Je suis partie à la dérive. Et puis j’ai échoué sur une plage déserte.

Ousmane : Et tu en déduis quoi ?

Abdou : Je ne sais pas. On descend les gars. On va prendre la route. Quand on sera à Dakar je vous rembourserai les billets. Je vous en supplie.

Cheikh Omar : Tu es un vrai villageois. On ne descend pas. On part. Et on va arriver à Dakar sain et sauf. Tu as juste fait un rêve comme un autre, pas de quoi fouetter un chat.

Agnandine : Je ne sais pas trop. J’ai vu un fou qui disait qu’il a de la peine, tout comme nos parents. Ensuite il a terminé par puissions nous trouver la paix dans l’ailleurs.

Abdou : ça fait beaucoup. Descendons de ce bateau.

Ousmane : Vous aussi. Vous vous comportez comme des gens pas instruits. Comment pouvez-vous croire en ce genre de choses ?

Abdou : Ousmane, on est en Afrique. L’Afrique a ses mystères.

Ousmane : C’est trop facile. Ecoutez, on va prier et attachez des gilets de sauvetage durant toute la traversée. On va s’enfermer dans nos cabines à la tombée de la nuit. On arrivera à Dakar sain et sauf.

Agnandine : Que Dieu t’entende.

Ousmane : Il nous entendra.

Et le bateau se fit entendre, annonçant son départ imminent. Il était 13h30. L’oncle d’Agnandine pleurait. Il s’en voulait d’avoir laissé sa petite nièce embarquer dans ce bateau de malheur. Un bateau qui ne lui a jamais inspiré confiance, mais il ne voulait pas attrister d’Agnandine. Il était si rare de voir aujourd’hui un casamançais qui a grandi ailleurs que dans sa région être si attaché à la terre de ses ancêtres. Alors que lui ses enfants ne rêvaient que de quitter Ziguinchor, Agnandine s’imaginait faire sa vie là bas. Elle lui avait demandé de lui trouver un terrain pour qu’elle puisse planter des arbres fruitiers. Elle lui avait même parlé d’un projet pour la transformation des fruits qui pourrissaient en toute saison. Oui, Agnandine était attachée à la terre de ses ancêtres d’une façon qui déroutait tous les proches de son père. La mort dans l’âme, il rentra chez lui et appela son frère.

Séckou : Alors, Saliou. Ça va ? Agnandine a quitté ?

Saliou : Oui, le bateau vient de partir. Notre fille est formidable.

Séckou : C’est vrai, elle est spéciale. Je ne sais pas pour toi, mais j’ai….

Saliou : Quoi ?

Séckou : Non, rien. Laisse tomber. On se reparle demain.

Il raccrocha. Le père d’Agnandine avait un mauvais pressentiment. Toute la journée de ce 26 septembre, il fut d’une humeur massacrante, tout comme Bijou la benjamine qui était très proche d’Agnandine. Fatou et Combé se moquèrent de Bijou. Pour le vieux Séckou, elles conclurent qu’il n’avait pas encore reçu sa solde. Seule Hélène qui était en vacances essaya de savoir ce qu’avait son père.

Hélène : Papa, tu as un problème au bureau ?

Séckou : Non.

Hélène : Qu’est ce qu’il y a ?

Séckou : Rien.

Hélène : Et depuis l’heure du déjeuner, tu ne fais que crier sur les gens ? Ce n’est pas dans tes habitudes.

Séckou : Jeune fille, occupe-toi de tes affaires. Tu es trop curieuse.

Hélène : Bon d’accord. Gnandine a pris le bateau ?

Séckou : Oui, depuis 13h30.

Hélène : J’ai compris. Gnandine a pris le bateau, tu es inquiet c’est pour ça tu veux nous traumatiser ? Papa, toi aussi. Il ne lui arrivera rien.

Séckou : Oui mais, je ne peux pas m’empêcher…..

Hélène : Tu es trop attachée à ta fille là. Nous, on ne compte pas.

Séckou : Hélène, tu n’as pas à dire ça. Vous, vous êtes là en sécurité, elle est je ne sais où, dans quelles conditions, je ne sais pas. Il peut lui arriver n’importe quoi.

Hélène : Quand elle sera là, que je lui raconte le cinéma que tu nous as faits. Ahlalala, comment elle va se moquer de toi.

Séckou : Inch Allah. Hâte que ce jour arrive.

Hélène : Papa ! Arrête. Tu parles d’Agnandine comme si elle n’allait pas revenir. Elle va rentre saine et sauve.

Séckou : Amen Hélène. Que Dieu t’entende.

Hélène, sortit du salon, inquiète finalement, et de mauvaise humeur. Elle se disait que son papa déconne vraiment. Depuis  quand est il comme ça ? Elle passa devant sa mère sans la voir.

Combé : Tiens, ton papa t’a refilé sa mauvaise humeur ?

Héléne : Maman, papa il est grave. Il stresse parce qu’Agnandine a pris le bateau.

Combé : Il ne faut pas que tu sois jalouse. Il est tellement attaché à sa petite mère que voilà quoi. Et puis tu sais que lui, il n’a jamais fait confiance au bateau. Je ne sais pas ce que ta sœur a pu lui dire pour lui arracher la permission de voyager avec le Joola.

Hélène : Va lui remonter le moral, et fais le rire. Parce qu’au rythme où ça va, il va bientôt faire un arrêt cardiaque.

Combé éclata de rire avant de rejoindre son mari qui était pensif, devant la télévision.

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