Chroniques

Des rêves à la mer (Chapitre 2)

Chapitre 2 : Vacances de rêve

Le mardi, soit trois jours après la publication des résultats, Gnandine prit l’avion pour Ziguinchor. Elle se rendit d’abord à Thionck Essyl pour voir ses grands parents. Ses cousins s’attachèrent à elle et lui firent découvrir le village. Ce qu’elle n’a jamais eu l’occasion de faire durant les vacances en famille. Les parents d’origine casamançaise avaient tendance à surprotéger les enfants quand ils étaient en vacances. Ils soutenaient que certaines familles pouvaient vous nuire en vous offrant un fruit. Ils estimaient aussi que les enfants qui ont grandi en ville n’ont pas la même constitution que ceux du village. S’ils font tout comme eux, ils vont se retrouver malades. Il y avait aussi beaucoup de tabous à ne pas transgresser. Et jugeant que leurs enfants n’étaient pas très au fait de tout ça, ils préféraient les couver. Pour les garçons, dès qu’ils faisaient un tour au bois sacré, ils étaient libres de faire ce qu’ils voulaient. Mais pour les filles, elles étaient surveillées comme du lait sur le feu.

Les parents à Sakal, Gnandine partit se baigner à Djiréngoureye, Djirépemba, des marigots où des crocodiles avaient élus domicile. Bien évidemment, personne n’était au courant sauf ceux avec qui elle était. Elle y passa une journée magnifique. Elle cueillit beaucoup de Madd (fruit exotique) qu’elle peina à faire transporter. Elle fit de la pêche à Morrow, un bras du fleuve Casamance qui traversait Thionck Essyl. Elle était heureuse, comblée. Elle aurait bien voulu partager ses moments avec ses sœurs, mais elle se disait aussi que si maman était là, elles ne sortiraient jamais de la maison. La seule chose que Combé extrêmement prudente permettait, c’est de se baigner sous la pluie. Alors que les filles étaient avides de découvrir le village. Mais en filles modèles, elles prenaient bien soin de ne pas contrarier leur mère. Gnandine se disait dès que l’occasion se présentera encore, je reviendrai en Casamance sans les parents. Je servirai de guide à mes sœurs, et on s’amusera comme des folles. J’espère juste que je trouverai facilement du boulot. Je consacrerai mes économies à faire de ce rêve, une réalité. Dans la frêle pirogue, Gnandine rêvait et faisait des projets à n’en plus finir. Son cousin l’interpella :

Goya : Agnandine, à quoi tu penses ? Ton copain t’a largué ou ?

Elle éclata de rire.

Agnandine : Goya, ce n’est pas ça. Mais la verdure ici, tout ça a un effet relaxant. Je me dis que la prochaine fois, je viendrai avec mes sœurs.

Goya : Tes parents ne seront pas d’accord. Ils ont tellement peur qu’ils vous arrivent quelque chose. Quand vous êtes en vacances, c’est comme ci ils étaient assis sur des œufs.

Agnandine : Et je ne comprends pas pourquoi.

Goya : Nous on comprend. Vous, vous êtes trop éloignés de nos réalités.

Agnandine : N’importe quoi. Pourquoi vous avez accepté de me trainer partout alors ?

Goya : On est capable de veiller sur toi. Maintenant, on est des hommes.

Agnandine : Je déteste ton discours là. Bon, laisse-moi profiter de la beauté de la mangrove.

Goya : Hey, assieds toi correctement. Serres les jambes, et ne fais pas tanguer la pirogue. Tu restes là pendant qu’on va jeter le filet.

Agnandine : Je viens vous aider.

Goya : Ne descends pas. Il y a beaucoup trop de boue ici. En plus tu n’auras pas pied, et les branches des palétuviers peuvent t’écorcher et tu vas nous parler de tétanos et autres.

Agnandine : Bon d’accord.

Goya : Nettoie le panier.

Agnandine : Vous êtes trop machos quoi. Les femmes ne doivent servir qu’à laver, nettoyer, porter des enfants, tchipatou.

Goya : Tu vas te plaindre au bon Dieu.

Ils rigolèrent. Ils prirent beaucoup de poissons, des crabes, des coquillages. Ils mangèrent une partie de la pêche sur la plage. L’endroit était silencieux, sauvage. En dehors de leurs éclats de voix, le calme était interrompu par le bruit que faisaient les poissons qui sautaient hors de l’eau. Les palétuviers les entouraient. Morrow rappelait la mangrove de Toubacouta. Comme là bas, on voyait les dégâts causés par les hommes. Des écologistes, essayaient de reboiser. Ce qu’ils réussissaient plutôt bien. Après s’être bien régalés, ils rentrèrent et donnèrent le reste de la pêche à la maitresse de maison qui prépara le diner pour le reste de la famille. Gnandine, fatiguée, s’était endormie juste après sa douche. Elle devait repartir à Ziguinchor après avoir passé une semaine avec ses grands parents à Thionck Essyl. Les adieux furent émouvants. Le grand père embrassa Gnandine sur le front alors que la grand-mère geignait que plus jamais elle ne reverra sa petite fille. Avant qu’elle ne revienne, elle sera morte. Gnandine en riant, lui dit «  tu vas nous enterrer tous Mamie. La prochaine fois que je viendrai, c’est toi qui va m’accueillir. » Goya l’accompagna jusqu’à la grande place du village.

Goya : Alors ? À quand la prochaine visite ?

Gnandine : Je ne sais pas, mais ce sera bientôt. J’ai adoré.

Goya : Moi aussi. Je viendrai à Dakar.

Gnandine : Tu passeras me voir. Je suis chez tonton Amaye.

Goya : Comptes sur moi. Et fais attention à toi. A Ziguinchor, il y a des requins.

Gnandine : Moi je bouffe tout.

Goya : Tu es folle. See you.

Et ils topèrent là, et Gnandine monta dans la voiture. Ils traversèrent des pistes en piteux état. Gnandine était aux anges. Elle se croyait à un Safari au Kenya. Des singes traversaient brutalement la route, ce qui l’excitait. Tous les passagers du bus la trouvèrent touchante. Elle arriva sans encombre à Ziguinchor et passa deux jours chez son oncle avant d’aller au Cap Skirring. Pour son séjour de cinq jours, en période d’hivernage, il n’y avait pas trop d’activités. Mais avec sa bande de copains, ils avaient une grande plage qu’ils partageaient avec ….. Des vaches, une piscine privée, un chef cuisinier ainsi que tout le personnel du village du pêcheur à leur disposition. Ils organisèrent même quelques fêtes où ils étaient à peine dix. Ils flânèrent au Cap, un joyau dans un écrin de problèmes. Cap Skirring ne disposait pas d’eau courante. Les hôtels et auberges étaient obligés d’installer des forages pour bénéficier de ce luxe. Le conseil rural veut bien construire un forage, mais c’est une tâche ardue dans la mesure où le cap est coincé entre la mangrove et l’océan atlantique. La nappe phréatique est saumâtre. Ce fut leur plus grande surprise en arrivant au Cap. On leur apprit qu’avec la rébellion en plus, beaucoup d’hôteliers ont abandonné leurs projets et sont repartis dans leur pays. Ils trouvèrent dommage que la Casamance soit aussi négligée alors qu’elle regorge d’énormes potentialités. Gnandine découvrit sa Casamance  sous un jour nouveau. Oui, maintenant elle comprend même le MFDC qui se bat pour l’indépendance de la Casamance. Elle juge que parler d’indépendance est une hérésie. Mais la Casamance est laissée dans un état tel que…. Oui, la Casamance est abandonnée tout comme les autres régions du Sénégal à l’exception de Dakar qui est considéré comme le centre du Sénégal. La Casamance pourrait être le grenier du Sénégal. La Casamance pourrait être la poissonnerie du Sénégal. La Casamance pourrait être, à l’instar de la petite côte l’un des endroits les plus courus du Sénégal.  C’est compliqué tout ça se disait elle finalement. Elle se laissait aller à profiter de la verdure, des plages de sables fins, des plages de coquillages au bord de la mangrove. Dans ses promenades, elle s’amusait  à traverser les ponts entre Cabrousse et Katakalousse. Elle marchait de grandes distances sans s’en rendre compte. Elle avait embelli, était plus détendue. Ce que son père avait remarqué. Toutes ses activités, elle les racontait à son papa qui était ravi de voir que sa fille aimait vraiment le programme qu’elle lui avait concocté. 

Gnandine : Papa, moi je vous dis, vos vacances aseptisées, je ne suis plus partante. Tu as vu, il ne m’est rien arrivé.

Sékou : C’est vrai. Mais tu ne peux pas comprendre. Tu n’as pas le même vécu que ta mère et moi.

Gnandine : Inch Allah, l’année prochaine je reviens avec les filles. Il faut que je leur montre ma Casamance.

Sékou : Ah bon ? Maintenant, c’est ta Casamance.

Gnandine : Oui. J’aimerai bien vivre ici.

Sékou : Tant mieux alors.

Gnandine : Je repars à Ziguinchor demain.

Sékou : Tu comptes rentrer quand ?

Gnandine : Aux abords du 20 septembre.

Sékou : Ok. Prends soin de toi.

Il raccrocha heureux de savoir sa fille si attachée à la Casamance. Gnandine qui rentra à Ziguinchor. Elle séjourna à Kadjandoumagne avant de partir chez son oncle. Ses camarades de promotion étaient à Ziguinchor, et même ses connaissances ressortissantes de la Casamance.  Boites, plages, yendou étaient leur quotidien. Après dix jours de ce régime, ils pensèrent qu’il était temps de penser à leur avenir. Ils parlèrent de leurs projets d’avenir. Chacun évoqua les démarches entreprises dans la quête du premier emploi. Ils travaillèrent à parfaire leur cv, affiner leur lettre de motivation, échangèrent des contacts. Ils décidèrent de rentrer tous ensemble par la route. Comme ils étaient une trentaine, ils estimèrent plus pertinents de louer un bus. Et Abdou Niassy, étudiant à la Faseg fit une proposition.

Abdou : Le bateau le Joola est de retour. On le prend. C’est plus pratique. On n’aura pas de temps à perdre au bac à Farafégné ou Banjul (en Gambie)

Cheikh Omar : Abdou, tu aimes trop mentir. Le bateau est en réparation en Allemagne ou un truc comme ça. Il lui manquait un moteur.

Ousmane : Il a repris. J’ai une tante qui est venue quand on était au Cap. Elle a dit qu’elle a pris le bateau.

Omar : Si. Jeudi normalement, il doit partir à Dakar.

Gnandine : Mais c’est sur ça ? Abdou : Le bateau est sur. On l’avait immobilisé à cause d’avaries. Maintenant qu’ils l’ont remis en circulation, ça veut dire qu’ils l’ont réparé.
Immobilisé depuis le 13 septembre 2001, pour la réparation d’avaries mécaniques et le remplacement de son moteur bâbord, « Le Joola » avait reprit la liaison Dakar-Ziguinchor le10 septembre 2002.

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